Les technologies de l’information pénètrent enfin dans le monde de l’édition. Après des suppressions d’emplois dramatiques et inutiles, les entreprises de presse ont compris qu’elles devaient changer de modèle et s’adapter à l’Internet. De sorte que l’information apparaît actuellement sous deux visages complémentaires, celui des supports du papier et de l’écran. La révolution de l’édition numérique impose une rédaction d’une forme nouvelle et mieux ciblée. Professionnels et dilettantes rivalisent de talents sur la Toile pendant que les publicitaires disposent enfin d’une mesure plus concrète de l’impact de leurs messages.
La presse doit s’adapter au numérique ou mourir
En Février 2007, Marc Tessier remettait au Ministre de la Culture et de la Communication un rapport intitulé "la Presse au défi du numérique" dans lequel étaient évoqués la baisse de la diffusion et de l’audience du secteur de la Presse traditionnelle et les perspectives des évolutions liées aux techniques numériques.
En un siècle et demi, l’édition a traversé plusieurs étapes technologiques, passant de la composition avec des caractères en plomb à la linotypie, puis au formatage des textes en électronique. L’étape la plus récente concerne le changement du support de lecture, du papier à l’écran du terminal portable. Qu’il s’agisse de revues périodiques, de quotidiens ou de livres, l’édition traditionnelle doit donc prendre en compte les nouvelles technologies de l’information et s’adapter aux différentes ressources offertes par le numérique.
Les entreprises gestionnaires de ces activités doivent déterminer comment, en fonction de leur lectorat traditionnel, de la masse critique envisageable et du centre d’intérêt concerné par les publications, elles doivent procéder pour effectuer la transition. Les réponses aux difficultés actuelles qui assaillent les éditeurs, peuvent donc être très diverses.
La presse traditionnelle en crise
Rongés par leurs dettes et par la réduction de leur lectorat séduit par d’autres sources d’informations concurrentes (télévision ou Internet), les journaux américains ont vu se réduire de moitié leur volume de publicité entre 2005 et 2009, ce qui entraina la disparition d’une centaine de journaux. Dans la période 2007-2009, les chiffres d’affaires des journaux ont diminué de 10 % en Allemagne, de 21 % au Royaume-Uni et de 30 % aux Etats-Unis. En conséquence, les marges ont reculé d’environ 35 % aux Etats-Unis et le nombre de rédacteurs employés par les journaux américains est tombé de 56 000 en 2001 à 40 000 en 2009. Si moins de temps est consacré à l’investigation et à la qualité de la rédaction, la substance de l’information est réduite, ce qui détourne une certaine catégorie de lecteurs vers d’autres vecteurs médiatiques.
La crise que traverse la presse concerne donc deux fois le citoyen, car l’information est en même temps un instrument de pouvoir et un outil industriel et commercial. Internet, ses applications et les terminaux connectés peuvent aider les éditeurs à transformer leurs activités, des francs-tireurs n’hésitant pas à doubler les indécis sur les segments de marchés rémunérateurs par des voies démocratiques ou anarchiques, qui mêlent à la fois le texte, l’image, la vidéo, l’interactivité en mode texte, la musique, etc.
L’audience des sites Internet de la presse quotidienne a fortement augmenté récemment, mais sans conséquence financière sensible pour le moment. D’où la naissance des "non profit media" (académique ou presse) qui disposant de faibles revenus, ciblent leur public, ce qui conduit en particulier l’information économique à se privatiser. www.propublica.org
La transformation vers le numérique
La plupart des quotidiens hésitent encore à passer à l’édition tout en numérique. Certains conservent les deux formules, avec cependant un "Courrier des Lecteurs" organisé sur leur site Internet en un bloc-notes habilement contrôlé, surveillé et évalué par une notation de type "triple A". D’autres parient sur la version tout numérique sur ordinateur portable ou terminal mobile ou tablette de type propriétaire, ce qui suppose la mise en place d’astucieux partenariats. Des réseaux sociaux s’allient à ces cibles commerciales bien identifiées de presse numérique, de sorte que l’agrégation puisse apporter à cette dernière une meilleure rentabilité financière.
Pour attirer les lecteurs, des éditeurs de journaux numériques offrent des abonnements thématiques mensuels à dix ou vingt articles. L’offre, d’abord gratuite, fait ensuite appel au micro paiement périodique ou à la demande, ce qui astreint l’éditeur à diffuser des relances périodiques par l’envoi d’une "Lettre en ligne" (Newsletter). Fort heureusement, il semble que les publicitaires acceptent d’accompagner le mouvement et pour un certain nombre de périodiques en version numérique, l’affaire semble rentable. Le lecteur a ainsi le choix entre l’achat du quotidien au numéro, à l’abonnement annuel, ou aux éditions électroniques à l’année ou article par article. Cette ouverture commerciale est trop large pour être en mesure de durer, car la vente de services est un jeu à deux joueurs au cours duquel chacun s’organise pour dépenser le moins possible tout en gagnant le maximum de services. Mais, les technologies numériques d’aujourd’hui permettent ces offres et l’essai mérite d’être tenté afin de déterminer s’il peut être pérennisé.
La dualité des présentations astreint à modifier les conditions des Copyrights et assurer l’archivage des textes des versions numériques mises en ligne. La distribution des éditions locales en papier est également facilitée par un ajustement aux besoins précis.
Le cas du Financial Times
A titre d’exemple, "The Financial Times" possède aujourd’hui environ 4 millions de lecteurs dans le monde (versions papier et électronique confondues), dont 590 000 en numérique seulement. Les différentes éditions électroniques permettent de mesurer l’audience heure par heure pour chacune des mises en ligne et d’apprécier les réactions des lecteurs. Bien qu’il s’agisse encore, selon les acteurs eux-mêmes, d’expérimentations vers un lectorat aisé, grâce à des "paywalls" (murs à péage) et grâce au contrôle de l’efficacité des bandeaux publicitaires, un outil remarquable pour l’exercice de la démocratie et pour la surveillance de l’équilibre budgétaire des activités liées à l’information est maintenant en place. Une presse en bonne santé financière devrait permettre de fournir à ses lecteurs des textes de fond, des analyses et des commentaires répondant aux attentes des divers publics qui composent son lectorat. Plusieurs tentatives sont en cours dans le monde sur ce thème.
La problématique des éditeurs
Le but visé par les éditeurs est de diffuser la même qualité de textes sur les deux supports (papier et Internet), de façon à éviter la concurrence de publications en ligne indépendantes et gratuites (Webzines ou NewsLetter), dont la rédaction est plus rapide. D’autre part, la "médiasphère" ne respectant pas toujours les règles de bienséance rédactionnelle, les éditeurs traditionnels tiennent à marquer leur territoire par une bonne qualité de fond et de forme (ce qui a un coût !) et par le respect des règles déontologiques de la profession. Sur ce dernier point, la dissémination de l’Internet et la mondialisation confèrent une nouvelle dimension à ces règles, puisqu’elles doivent, en principe, oublier l’influence de baronnies locales lorsqu’elles s’appliquent à une diffusion mondiale. Wikileaks, comme d’autres Indignés, profite de ce créneau pour diffuser de l’information à travers l’édition numérique. La presse traditionnelle, malgré ses faiblesses financières actuelles, a compris le danger qui la menace et elle cherche à s’adapter malgré les secousses économiques et sociales qui agitent le monde. D’autant plus que les gouvernements vont cesser de prodiguer le soutien financier traditionnel accordé aux organismes de presse. http://aboutus.ft.com/
La tablette ou l’ordinateur portable ?
L’édition numérique réclame des lecteurs normalisés ou, à défaut, des tablettes de lecture s’accordant sur un même format d’écran et sur un même niveau d’ergonomie. Apple a commercialisé une tablette "Newsstand" qui est censée s’accommoder des mêmes formats de lecture utilisés par le "Kindle Fire" de son concurrent Amazon à 159 dollars (plus petit que l’iPad), utilisable pour les journaux et les magazines. Or, Amazon vient de lancer toute une gamme de Kindle à partir de 79 dollars, dont le contenu, plus ouvert, est stockable sur nuage informatique (Cloud computing). Hearst, qui publie Cosmopolitan, Esquire et Popular Mechanics, distribue plus de 300 000 exemplaires de ses revues par mois à partir de plateformes qui s’ouvrent sur le marché de masse et particulièrement auprès du public féminin. Plusieurs éditeurs, dont le Financial Times, proposent des applications Internet compatible en HTML5 sur la plateforme d’Apple. Comme on peut le voir, la technologie commence à s’affiner du côté du public. Verra-t-on un jour se multiplier le reportage vidéo dans l’édition du journal numérique ?
Rupert Murdoch a lancé un journal numérique intitulé "The Daily", dont la lecture est possible sur terminal "iPad", mais il n’a pu réunir que 120 000 lecteurs uniques par semaine (au lieu du demi-million espéré), soit une diffusion semblable à celles des régionaux américains. Et la "conversation médiatique", imaginée par les concepteurs du projet, n’a pas pu s’instaurer. Toutefois, l’équilibre financier est atteint grâce à la publicité, dont le tarif (100 dollars pour 1.000 visiteurs uniques), se trouve placé à un niveau un peu élevé. R. Murdoch envisage lancer prochainement "The Daily" sur des tablettes équipées par Google de l’OS Android.
Des intermédiaires s’infiltrent
Des sociétés intermédiaires négocient avec des éditeurs de presse des tarifs préférentiels de vente d’abonnements de magazines classiques. Elles diffusent ces offres auprès des comités d’entreprise, au travers de partenariats, et sur la Toile en direct ou sur des sites en marque blanche. Le consommateur peut ainsi bénéficier jusqu’à 80 % de remise sur les prix du commerce. De cette façon, les éditeurs peuvent mutualiser les coûts de recrutement de leurs abonnés. Les frais de commercialisation de ces magazines sont réduits d’environ 30 à 40 %.
La technologie permet ainsi la découverte de la presse traditionnelle par la lecture en ligne des magazines sélectionnés, sans téléchargement de logiciel spécifique sur l’ordinateur. Des abonnements à durée libre à paiements mensuels sont possibles sur 250 titres. Par sa souplesse, cette formule commerciale permet de faire connaître des titres difficiles à trouver en kiosque. Plus de 5 000 titres de presse au numéro sont ainsi diffusables en France.
Avec une commission de l’ordre de 30 %, le distributeur devrait pouvoir accueillir des abonnements annuels proches de 20 dollars pour des revues lisibles sur des tablettes. La vente de la lecture au numéro a servi à mettre au point la technique l’an dernier. Maintenant, il s’agit de ventes d’abonnements annuels à des revues ou à des sélections de revues.
Le kiosque de presse pour ordinateur, tablette et "smartphone" recherche son public en France. Les initiatives s’organisent autour d’offres de lectures gratuites sans téléchargement 24h/24 sur le thème de l’actualité, de la mode, des thèmes féminins, des sciences, du sport, etc. Pour faire découvrir la simplicité d’utilisation de la lecture en numérique, des magazines en consultation gratuite sont mis à disposition. A l’heure d’internet, il n’a jamais été aussi facile de lire son magazine préféré. Ouvert en 2007, Monkiosque (www.monkiosque.fr/ ) est un site de vente en ligne spécialisée dans la distribution de magazines sous format numérique disponibles à l’unité et en abonnement (500 titres disponibles). Le site www.relay.com commercialise à la fois des abonnements annuels, de la consultation unitaire de revues en ligne en langue française et anglaise, ou le téléchargement de l’International Herald Tribune. Le site http://www.pressenumerique.com/magazine/default.asp propose de la même façon la vente au numéro, soit en numérique soit sur papier avec commande associée à un micro paiement.
Poids relatif de la presse papier et de la presse numérique
L’OJD, organisme de référence en matière de certification de la diffusion des Médias numériques en France, publie gratuitement, tous les mois, à destination du marché publicitaire, les chiffres de fréquentation et d’usage des Sites Internet et Applications Mobile contrôlés (deux bilans séparés sont fournis).
http://www.ojd-internet.com/
Le cas de la France
La presse traditionnelle française subit les conséquences de la crise économique. La publicité a reculé en 2009 de près de 20 %, alors que les ventes chutaient de 7 %. Aujourd’hui, la presse magazine améliore sa position. Le quotidien économique "Les Echos", qui bénéficie de ses liens privilégiés avec FT, dispose de 50 000 lecteurs dans l’édition numérique, à comparer aux 20 000 du Figaro et des 7 000 du quotidien Libération. Des abonnés au "Pack" des Echos peuvent faire connaître leur réaction sur le site du journal. Ce qui offre la possibilité d’étudier un créneau de plus à étudier sur le thème des rapports entre la Presse et ses lecteurs.
Signalons pour terminer ce bref panorama, un essai récent consacré au livre numérique en France. A la veille de l’arrivée du Kindle d’Amazon, Jean Sarzana et Alain Pierrot ont résumé les principaux enjeux liés à la "rupture décisive" (selon eux) qui concerne l’évolution de l’édition imprimée dans leur essai intitulé "Impressions numériques, quels futurs pour le livre ? (Editions du Cerf, Paris, 2011). Mais comment concevoir que l’édition imprimée puisse disparaître un jour ?
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