"Que faire pour que tous les foyers français soient connectés à une fibre optique ?" Cette question stimule le dynamisme et la créativité des experts de toute discipline, et de préférence, de ceux d’entre eux qui ne disposent guère de connaissances sur le thème des réseaux et de la transmission.
Et comme l’Internet d’aujourd’hui confère bien à chacun le droit de communiquer son avis sur les questions de religion (« Tous théologiens ! »), comme sur le thème de la cuisine (« Tous diététiciens ! »), ou du sport (« Tous kinés ! »), pourquoi ne pas diffuser aux quatre coins de la Toile des directives personnelles relatives à un « Plan fibre revisité » ? Et dans ce cas, au titre de la liberté d’expression, à notre tour, nous pouvons nous permettre de critiquer le critique, avec toute l’amitié et tout le respect que nous lui devons !
L’origine de l’idée selon laquelle « tous les spécialistes seraient maintenant convaincus que la place de la France dans le monde dépendra de sa capacité à connecter chaque Français à une fibre optique » est inconnue. Que les entreprises, petites, moyennes ou grandes, les hôpitaux, les écoles, etc. disposent un jour proche d’une connexion à très haut débit, soit ! Mais pour soutenir le point de vue avancé plus haut, il faudrait être en mesure de démontrer que chaque foyer de France et de Navarre a réellement besoin de plus de 50 à 100 Mbit/s en permanence et en bidirectionnel. Aujourd’hui, et sans doute demain aussi, un tel investissement correspondrait à un gaspillage en ressources et en énergie. La comparaison, toute naturelle, avec le raccordement au réseau électrique ou au réseau d’eau potable montre qu’en effet, la consommation dépend de l’activité et de la taille de l’entreprise.
D’autre part, la technologie évolue si rapidement qu’il est difficile de recommander un mode de transmission pour ses performances ou ses qualités économiques. La télédistribution utilise le satellite, l’hertzien terrestre (la TNT, le WiMAX), les réseaux câblés, l’ADSL2+ , la fibre optique en silicium, la fibre plastique, et les réseaux de distribution d’énergie, ce qui fait que dans chaque pays, le système de connexion le plus répandu est lié au coup de dés de l’histoire régionale. Rien n’empêche d’ailleurs l’utilisateur de disposer de deux ou de trois de ces méthodes de raccordement s’il en a l’usage et les moyens financiers.
Qu’il s’agisse d’un exploitant historique ou d’un de ses concurrents, le poids des investissements pour le réseau d’accès est lourd et les seules économies possibles sont celles liées à la répétition des moyens, donc de la normalisation et au facteur d’échelle – achats en gros, rationalisation de mise en œuvre. Les services triples en ADSL2+ ne permettent pas aujourd’hui de dépasser les 24 ou 30 Mbit/s et il faudra attendre la généralisation du G-PON longue portée (réseau optique passif copartagé) pour atteindre d’ici un an ou deux probablement la quantité critique d’abonnés (120 000 ? sur 40 km peut-être, voire plus ?) et un optimum de débit (de 24 à 100 Mbit/s par abonné) avec une seule fibre. Le modèle économique évoluera donc rapidement et il convient donc d’étudier la meilleure forme d’association des techniques et des exploitants en concurrence afin de réduire les coûts de distribution.
Les exploitants de réseau se sont lancés dans la course au raccordement optique à domicile (FTTH), hésitant entre le raccordement direct, à un ou à deux niveaux de mutualisation (avec des OLT et des ONU) sans amplification, dans la capitale et dix villes de France pour Orange (avec l’espoir de quatre millions d’abonnés raccordés en 2012 !), trois villes pour Free et quatre millions de foyers pour Numericable à la fin de 2008. La « mutualisation » des ressources est organisée à l’intérieur des immeubles et des grands ensembles avec possibilité de brassage dans les parties communes [www.avoirlafibre.com]. Pour l’habitat isolé, la question demeure plus difficile.
Trois aspects essentiels doivent être pris en compte sur le thème de la distribution optique. D’abord, la distribution géographique de la population française présente depuis 800 ans une originalité coûteuse à l’ensemble de ses citoyens. La concentration parisienne constitue une aberration historique et humaine qui pénalise l’organisation de la distribution. Les coûts de l’Ile de France ne sont pas ceux du département des Vosges ou du Finistère, et ce fait relativement banal est à l’origine d’erreurs effectuées à l’occasion d’estimations un peu trop rapides, combinées à la nécessité de « prix moyens » nécessaires à l’inévitable conception républicaine d’égalité. Pour dire les choses rapidement, mais clairement, un routeur à 10 Gbit/s placé à Longjumeau sera amorti beaucoup plus rapidement qu’un routeur identique installé à Vesoul. Réciproquement, toute installation nouvelle dans un site du département du Finistère coûte entre quatre à dix fois le prix de l’extension du site de Longjumeau. Qu’il s’agisse d’analogique ou de numérique, l’équipement de nombreux petits centres pénalise l’extension des centres urbains et réciproquement. Par malchance, le goût des jeunes foyers français est aujourd’hui de quitter le centre ville régional pour habiter des lotissements pavillonnaires des cités voisines, ceci contribuant encore à éclater la distribution des gros débits sur plusieurs centaines de mètres ou plusieurs km.
La seconde difficulté qui concerne les coûts de distribution a trait au volume des débits des usagers. Sur quels débits doit-on tabler, en moyenne, au maximum ou au minimum. Doit-on prévoir des débits toujours en croissance ? Ou bien faut-il parier sur un plafond ou des plafonds de consommation liés à la nouvelle donne de l’économie d’aujourd’hui ? L’énergie consommée inutilement par des équipements sous tension permanente revient cher à tout le monde, en prix, en pollution, en rayonnements, en réchauffement climatique, etc. Or, 350 kbit/s suffisent à l’abonné pour lire une vidéo. La voix sur protocole IP compresse les 64 kbit/s à 16 kbit/s le plus souvent, sachant que ce débit peut aussi être réduit. Le marché des professionnels représente 5 à 15 % des abonnés (en nombre) et jusqu’à 35 % dans certaines zones de raccordement. Or, ce sont ces zones seulement qui sont concernées par le Gbit/s ou le 10 Gbit/s (doublé et sécurisé) pour les professionnels. Le plus grand nombre des abonnés sera heureux de disposer d’un Mbit/s, même si le 512 kbit/s peut être considéré comme largement suffisant pour les résidentiels (et 100 Mbit/s pour les professionnels). Dans les deux cas, la valeur de débit nominal est toute relative, car elle ne fournit aucune précision sur les délais d’engorgement des routeurs en amont aux heures de fort trafic. Pour que la fibre parvienne chez l’abonné résidentiel, il faut qu’elle soit justifiée par des services indispensables et de qualité proposés à des prix acceptables, les niveaux de prix fixés aujourd’hui servant naturellement de référence. Dans le passé, les investissements lourds (routes, chemins de fer, câbles de télécommunications, etc.) ont été effectués par l’Etat, garant de la longue période nécessaire à l’amortissement. Aujourd’hui, rien n’est certain, compte tenu de la mouvance rapide des technologies et des marchés et les jeunes exploitants dynamiques d’hier qui, à l’heure de la concurrence débridée, ont enfoui des km de fibres optiques dans l’espace européen, n’ont pas laissé trace à leur disparition de la qualité de fibres qu’ils ont déployées. Hier, la transmission des messages d’affaires a été assurée par un service de « pneumatiques », où l’air comprimé jouait en ville un rôle essentiel et le porteur cycliste s’attribuait dans les banlieues un rôle accessoire, mais nécessaire. Aujourd’hui, un service d’autobus régionaux complète la desserte régionale effectuée par les TGV. A travers le temps, la Loi de répartition de Pareto réapparaît pour toutes les techniques liées à la desserte collective et elle rappelle leur nécessaire adaptation aux besoins.
Chaque département français (nous l’avions déjà signalé en son temps), n’a pas les moyens de disposer des conseils d’un consultant qualifié et objectif. Citons à ce propos les remarques d’un Sénateur féru de nouvelles technologies « Cela est d’autant plus vrai que la plupart des Départements ayant fait preuve d’initiative et de bonne volonté, dans ces dernières années, dans ce domaine des TIC en appliquant l’article L1425-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, ont été mal conseillés et se sont souvent engagés sur des voies sans issue. Ces Départements, souvent au travers de Délégation de Service Public (DSP) s’étirant sur une vingtaine d’années, ont investi plusieurs milliards d’euros pour dégrouper des DSLAM et pour déployer des technologies radio qui, les uns et les autres seront obsolètes avant dix ans. Dans quinze ans, ne resteront valables et utiles de ces investissements, que quelques milliers de kilomètres de fibres optiques pour relier la DSLAM. C’est bien cher payé le kilomètre de fibre optique ! ». Merci de nous donner raison après ces quelques années passées !
Selon le Cabinet Tactis, aucun modèle économique ne peut justifier les énormes investissements nécessaires pour la construction d’une nouvelle infrastructure en fibre optique jusqu’au domicile (FTTH) couvrant l’ensemble du territoire national. Ce qui, n’en déplaise aux néo-experts, rejoint les principes mis en œuvre par l’EDF pour ses clients qu’elle dote de gros transformateurs pour les entreprises et de petits transformateurs basse tension pour les groupes d’abonnés isolés. Si l’on veut distribuer du haut débit vers tous les foyers français, pourquoi ne pas utiliser le WiMAX ou placer au dessus du territoire autant de satellites géostationnaires (mutualisés) que nécessaire ? A chacun selon ses besoins ! Et laissons le marché réguler aussi bien la distribution des débits que l’équipement personnel en moyens informatiques, l’un allant avec l’autre. Les différents acteurs de réseaux savent d’ailleurs très bien s’entendre entre eux afin de réduire leurs coûts lorsque le moment est favorable. L’exemple de l’extension des réseaux 2G et 3G l’a montré récemment avec la mutualisation des ressources des points hauts et il n’est pas nécessaire de créer encore une entité administrative supplémentaire pour les mettre d’accord. La technologie est en mesure de régler ces questions à condition d’en user avec élégance, en mariant par exemple la fibre avec le WiMAX. Tout exploitant a besoin de clients et les clients ne demandent qu’à bénéficier de service fiable, de bonne qualité, sécurisé, sans attente, etc. et surtout, à un prix raisonnable.
Le troisième et dernier point relatif à la distribution optique dans tous les foyers est lié à la dépense énergétique attachée à cette technologie. La revue Spectrum de l’IEEE a fourni d’intéressantes informations dans son numéro de mai 2008 au sujet de la consommation des lasers utilisés pour des connexions Ethernet. Bien qu’elles ne soient utiles que dans la proportion de 5 % du temps, les liaisons à 10 Gbit/s consommeraient 20 watts chacune en 2010, à comparer aux liaisons à 1 Gbit/s, qui elles, ne demanderaient que 4 watts par extrémité. Impossible de passer d’un débit à un autre sans interrompre le flux de données pendant deux secondes et des liaisons optiques dormantes (à zéro bit/s) sont encore du domaine du rêve. Des térawatts d’énergie sont déjà dépensés par des interfaces de réseau établies en permanence pour des usages très réduits. Déjà échaudée par un « plan câble » voulu par les politiques, et afin d’éviter de devenir « la principale puissance économique du monde » à jeter son argent par les fenêtres, la France peut prendre le temps de la réflexion et travailler peut-être à améliorer l’économie de sa distribution numérique et l’écologie de la fibre optique.
A notre sens, c’est une erreur de promettre ou d’imaginer un câblage de la fibre optique dans tous les foyers ruraux. Les Présidents Pompidou et Giscard d’Estaing avaient eux aussi rêvé avec passion de l’accès à l’information pour tous, faisant la promotion « démocratique » des deux paires téléphoniques devant chaque habitation rurale et pour chaque appartement, ceci afin de répondre aux besoins en téléphonie et en Minitel. Entre le rêve et la réalité, il faut trouver le juste milieu. Beaucoup de foyers n’iront pas vers Internet, trop complexe, trop coûteux et peu sécurisé. Beaucoup de foyers ruraux n’iront pas chercher la TNT, inaccessible dans leur vallée, trop complexe dans les manipulations des adaptateurs, trop restrictive dans le choix de programmes et trop coûteuse, même quand la gratuité est promise ! Le numérique est peut être un progrès pour ceux qui ont les moyens de sa maîtrise technique et financière. Mais c’est aussi une régression, à cause du risque des arnaques possibles, de la perte de la confidentialité, des restrictions nouvelles qui encombrent les usages en permanence et aussi de la facture énergétique. La vérité se tient entre ces positions et la fibre ne change guère l’argumentaire, sauf que pour le plus grand nombre de foyers, elle est plus coûteuse pour un service identique comparé aux besoins réels. Hâtons nous avec lenteur ! Les avancées technologiques et la concurrence se combineront bientôt avec bonheur pour offrir ce que dont chacun a réellement besoin et ceci pour le plus juste prix, tout au moins pour un meilleur prix qu’aujourd’hui, avec l’espoir de la dégressivité naturelle des prix de revient.
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